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La liberté d’expression n’est pas un refuge pour les discours apologétiques du terrorisme, même indirects, lorsque ceux-ci portent atteinte aux fondements mêmes de la démocratie et au droit à la vie.

Par un arrêt du 2 décembre 2025, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre une condamnation à huit mois d’emprisonnement ferme pour apologie publique d’actes de terrorisme par un moyen de communication en ligne. La haute juridiction a considéré que cette peine ne portait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression, malgré une condamnation antérieure de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Cet arrêt, publié au Bulletin, précise la portée exacte de l’obligation de conformité aux arrêts de la CEDH et clarifie les conditions dans lesquelles une peine de prison ferme demeure compatible avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Les faits et la procédure

Les propos en cause ont été tenus lors d’un entretien radio diffusé en février 2016, puis mis en ligne sur le site d’un journal. L’intéressé y qualifiait de « courageux » les auteurs d’attentats terroristes, évoquant leur comportement lors des opérations meurtrières de janvier 2015.

Après plusieurs rebondissements procéduraux : une première condamnation, une aggravation de la peine en appel puis, un arrêt de la CEDH du 23 juin 2022 constatant une violation de l’article 10, non pas en raison de la condamnation elle-même, mais en raison de la lourdeur insuffisamment motivée de la sanction pénale.

L’affaire a été réexaminée uniquement sur la peine par la cour d’appel de Toulouse, qui a prononcé huit mois d’emprisonnement ferme. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le condamné.

La question juridique centrale

La question posée à la Cour de cassation était la suivante : une peine d’emprisonnement ferme peut-elle encore être prononcée pour apologie du terrorisme après une condamnation de la France par la CEDH pour violation de la liberté d’expression ?

La réponse de la Cour de cassation

L’article 46 de la CEDH ne crée pas de droit invocable par un particulier. La Cour rappelle fermement que l’article 46 §1 de la Convention, qui impose aux Etats de se conformer aux arrêts définitifs de la CEDH, régit exclusivement les relations entre Etats, sous le contrôle du Comité des ministres.

Un justiciable ne peut donc pas invoquer directement cet article pour obtenir l’annulation ou l’atténuation automatique d’une peine.

La CEDH n’a jamais interdit le principe d’une peine de prison. La Cour de cassation souligne un point fondamental souvent mal compris : la CEDH a jugé la peine antérieure disproportionnée mais elle n’a jamais prohibé le principe d’une peine d’emprisonnement, y compris ferme.

La violation constatée en 2022 reposait sur l’insuffisance de la mise en balance opérée, non sur l’illégalité intrinsèque d’une peine de prison.

L’existence de circonstances exceptionnelles justifie la peine ferme. La Cour valide la motivation de la cour d’appel, qui a caractérisé des circonstances exceptionnelles, condition exigée par la jurisprudence européenne pour admettre une peine de prison en matière de liberté d’expression.

Ces circonstances tiennent notamment :

  • au caractère laudatif (élogieux) des propos, qualifiés par la CEDH elle-même d’incitation indirecte à la violence terroriste ;
  • au contexte de menace terroriste extrêmement élevé au moment des faits ;
  • à la personnalité de l’auteur, ancien membre d’une organisation terroriste, disposant d’une forte exposition médiatique ;
  • au risque d’impact sur un public jeune et vulnérable.

La Cour insiste sur le fait que l’incitation à la violence terroriste, même indirecte, porte atteinte au droit à la vie, valeur suprême protégée par la Convention, et que des propos glorifiant des assassins de journalistes constituent une négation mortifère de la démocratie.

Une peine jugée nécessaire et proportionnée. La Cour relève enfin que : la peine prononcée est inférieure à celle initialement infligée, qu’elle est strictement motivée et que les peines alternatives ont été explicitement écartées comme inadéquates.

La peine de huit mois ferme est donc jugée : nécessaire, proportionnée et compatible avec l’article 10 §2 de la Convention.

Portée de l’arrêt

Cet arrêt apporte trois enseignements majeurs :

  1. La condamnation de la France par la CEDH n’interdit pas une nouvelle peine de prison, dès lors qu’elle est mieux motivée.
  2. L’apologie du terrorisme reste un domaine de restriction maximale de la liberté d’expression, y compris dans un débat d’intérêt général.
  3. La Cour de cassation assume pleinement un contrôle de proportionnalité exigeant, aligné mais non soumis mécaniquement à la CEDH.

Par cet arrêt, la Cour de cassation affirme donc une ligne claire :

la liberté d’expression n’est pas un refuge pour les discours apologétiques du terrorisme, même indirects, lorsque ceux-ci portent atteinte aux fondements mêmes de la démocratie et au droit à la vie.

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